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Défis de l’Afrique face à la guerre russo-ukrainienne

Nous avons l’impression que pour les pays du Sud en général et ceux d’Afrique en particulier, cette guerre Russie-Ukraine, est un « non-évènement ».

Introduction

Quelles perspectives pour l’Afrique face aux nouveaux enjeux stratégiques des relations sur la scène internationale ? Près d’un an après le début du conflit en Ukraine, l’issue en reste toujours aussi incertaine. La résilience ukrainienne est féroce, même si la Russie (1) progresse pas à pas. Cette guerre, bien qu’elle n’en soit pas officiellement une aux yeux de la Russie, aura des conséquences aussi bien pour l’Europe que pour l’Afrique. 

En Europe, la guerre qui a débuté le 24 février 2022, va renforcer les alliances. Un des premiers faits marquants est la résurrection de l’OTAN. Quelques mois avant l’invasion russe, le président français Emmanuel Macron déclarait dans une interview à l’hebdomadaire The Economist que l’OTAN est « en état de mort cérébrale (2) ». Cependant, cette guerre semble redonner à l’OTAN, son intérêt d’autrefois. 

En effet, ce conflit fait prendre conscience aux Européens de l’importance de se défendre eux-mêmes. Il met à nouveau sur la table, le vœu exprimé par Emmanuel Macron dans le même entretien, d’une « Europe de la défense — une Europe qui doit se doter d’une autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire(3)». D’ailleurs, l’Allemagne a compris le message en augmentant considérablement son budget militaire. Trois jours après l’attaque russe contre l’Ukraine en février dernier, « le chancelier allemand Olaf Scholz s’est engagé à allouer un budget spécial de 100 milliards d’euros pour réarmer l’armée allemande et moderniser ses équipements au cours des prochaines années(4)». Une Europe plus intégrée en matière de défense pourrait voir le jour au sortir de ce conflit. Des pays qui jusque-là étaient réticents quant à la nécessité d’adhérer à l’OTAN, semblent changer de position. 

Par ailleurs, le rapprochement entre la Russie et la Chine n’a jamais été aussi fort que maintenant. Cette alliance n’est pas dangereuse que pour les pays occidentaux, mais aussi certains pays du Sud, et notamment, ceux de l’Afrique. En se faisant passer pour de « nouveaux sauveurs » du continent, Moscou et Pékin s’implantent progressivement en Afrique. Leur implantation dans les pays du Sud est-elle salvatrice ? Faut-il s’inquiéter de la progression de cette implantation ? Quelle attitude l’Afrique doit-elle adopter face à ces nouveaux « sauveurs » ? 

I/ Perspectives africaines de la guerre en Ukraine

Nous avons l’impression que pour les pays du Sud en général et ceux d’Afrique en particulier, cette guerre Russie-Ukraine, est un « non-évènement ». En effet, après avoir fait le tour des différents Parlements occidentaux pour plaider la cause de son peuple, le président ukrainien a vu sa demande déboutée par les pays d’Amérique latine (5). Quant à l’UA, certes elle a accepté le 20 juin 2022 que Volodymyr Zelensky s’adresse à ses membres pour demander leurs soutiens contre la Russie, mais ce fut un échec. Comme le rapporte Nicolas Normand (6) dans les colonnes du Figaro, la démarche ukrainienne a échoué, car les Africains ne se sentent pas « pris en otage » par la Russie (7). Ces pays refusent de suivre la position de l’occident (8)

En effet, selon ces derniers, la Russie ne fait qu’imiter les États-Unis et leurs Alliés en Irak en 2003, au Kosovo en 1999, en Libye en 2011 ou encore au Mali en 2015. Toutes ces interventions étaient perçues comme illégitimes par certaines opinions publiques, plus affirmées et nettement prorusses qui, partagent avec la Russie un rejet des valeurs de

l’Occident et dénoncent une forme d’hypocrisie occidentale. L’hypocrisie de l’Occident consisterait à condamner l’invasion de l’Ukraine, alors qu’elle-même n’a pas agi différemment en intervenant en Syrie, en Libye ou en Afghanistan. Les deux poids/deux mesures sont dénoncés. 

Toutefois, lors du vote des pays africains sur la résolution du 2 mars 2022 à l’Assemblée générale de l’ONU condamnant l’agression militaire russe, seule l’Érythrée s’est prononcée contre la résolution, tandis que vingt-huit pays d’Afrique ont condamné l’action russe (9)

 

Par ailleurs, à partir de l’indicateur Afro Baromètres, on constate que la part des perceptions populaires positives de la Russie et de la Chine a beaucoup augmenté depuis cinq ans dans les pays du Sud. Cela reflète l’engagement économique, politique et militaire de la Russie, mais aussi le rôle de leurs médias de propagande (10).

 

L’ordre international, il y a quelques années, était encore unipolaire. On va désormais vers une bipolarisation. Un nouvel ordre du monde, marqué par le retour des rivalités de puissance, est en train de se dessiner. L’Afrique, si elle veut toujours exister politiquement après ce conflit, aura trois principaux défis à relever.

1) Mise en place d’une union véritable

Le conflit russe Ukraine fait apparaître deux grands blocs sur la scène internationale. D’un côté L’Occident et les États-Unis, et l’alliance Russie-Chine de l’autre. Face à ces blocs, il est indispensable que l’Afrique se constitue soit en une Union « souple » réellement efficace, soit en un regroupement ou bien encore en une Fédération africaine. L’Union africaine (UA), mise en place en 2002, doit se saisir de cette situation, pour enclencher la « troisième » étape de l’intégration africaine. Les deux premières étapes étant la mise en place de l’Organisation de l’Unité africaine en 1963 et la mise en place en 2002 de l’actuelle Union africaine. Cela lui permettrait de passer de simple spectateur, à acteur puissant sur la scène internationale. 

2) Ramener à 2023 « l’Agenda 2063 » de l’Union africaine

L’agenda de l’UA à l’horizon 2063 a pour objectif de construire une « Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique sur la scène mondiale(11)». Cet « Agenda 2063 » de l’UA présenté par les dirigeants africains comme le plan par excellence qui fera de l’Afrique la locomotive mondiale doit être accéléré. Il y a urgence que l’Afrique se positionne comme un acteur crédible sur la scène internationale. 2063 parait une éternité à l’heure où les dirigeants africains essaient de s’adapter à la nouvelle réalité provoquée par la guerre en Ukraine. 

Depuis l’invasion russe en Ukraine, les deux grands blocs font tout pour renforcer leurs alliances respectives, accroitre leur capacité sur le plan militaire, et leur autonomie énergétique. L’Afrique ne peut donc pas attendre 2063 comme la panacée de sa puissance. Elle doit se saisir de ce choc pour développer rapidement les secteurs sensibles révélés par la crise russe Ukraine. Il s’agit notamment de la sécurité, de l’alimentaire et de l’énergique, afin d’être un acteur et partenaire fort, uni et influent sur la scène mondiale. Les dirigeants africains ont intérêt à comprendre que s’ils veulent tirer leur épingle du jeu sur la scène internationale, ils doivent se saisir de cette situation pour accélérer l’agenda de l’UA.

3) L’impérieuse nécessité de démocratiser les pays africains

Certes pour nombreux pays africains, la démocratie a semblé être une imposition venue de l’occident. Ce qui explique sans doute pourquoi, en Afrique, la pratique de la démocratie ne correspond pas aux dispositions des constitutions de ces Pays. Il ne s’agit plus de faire bonne figure devant la communauté internationale, mais de prendre conscience de l’importance de la séparation effective les pouvoirs. Les dirigeants des pays d’Afrique gagneraient à mettre un terme aux différentes dictatures déguisées. Ils doivent faire l’effort d’intégrer l’alternance politique dans leurs pratiques, afin que les coups d’État ne deviennent pas la seule voie possible pour l’alternance gouvernementale. Les jeunes d’Afrique aspirent à la démocratie ainsi qu’aux valeurs qui en découlent. Certes, la démocratie n’est pas le meilleur des modèles, mais il reste le moins mauvais (12)

 

Le conflit en Ukraine est en réalité la guerre de la démocratie contre la dictature. De l’Ukraine, une société qui cherche à se démocratiser contre la Russie dont les dirigeants ont toujours des ambitions colonialistes et font de l’ingérence le pilier des relations internationales. 

 

 

4) Modèle d’intégration africaine s’inspirant de celui de l’Europe

Le modèle d’intégration européenne semble être un exemple à suivre pour les Africains. En effet, ce modèle permet une libre circulation des capitaux, des services ou encore des personnes. Ce qui consolide la puissance de l’UE, et permet à l’Europe de faire face aux différentes menaces, non seulement celles venues de l’intérieur (avec la montée du populisme en Pologne ou en Hongrie), mais aussi celles venues de l’extérieure (avec le terrorisme et les guerres). 

 

La nouvelle Union africaine devrait donc mettre un accent particulier sur ce sujet. D’autant plus que, contrairement à l’Europe, l’Afrique a un avantage dans son union, car tous les 55 pays du continent sont membres de l’UA. Cependant, l’impact de la corruption et des rivalités géopolitiques sont des obstacles au bon fonctionnement de cette union. 

 

Néanmoins, l’union faisant la force, c’est en étant unis que les pays africains peuvent s’affirmer politiquement. Par la force de l’Union, ils pourront concurrencer leurs rivaux et avoir une place de choix dans le concert des nations. Étant unis, ils vont éviter d’être toujours ce maillon faible sur lequel tout le monde marche. Grâce à l’union, l’Afrique devra parler d’une seule voix pour la défense de ses intérêts ; chose qui éviterait des sommets de type « Afrique-France » ; « Afrique-Russie » ou encore « Afrique-Chine ». 

 

Comment un seul pays peut-il organiser à lui tout seul un sommet avec tout un continent ? Cela reste inimaginable d’organiser un sommet « Gabon-Europe », par exemple. Dans la politique de la nouvelle union, il ne devrait plus y avoir de sommets de ce genre, mais plutôt des vrais sommets « Europe-Afrique ». De continent à continent de sorte que, sur une base égalitaire, chacun défende au mieux ses intérêts en dehors de toute forme de paternalisme. C’est ainsi que l’Afrique pourra se faire respecter à l’international. 

 

5) Sortir de la victimisation et des frustrations coloniales

Il ne s’agit pas de renier la colonisation de l’Afrique par les Occidentaux, car elle a largement contribué pour son retard. Mais, plus de soixante ans après le mouvement de décolonisations, l’heure n’est plus à se victimiser. Le temps n’est plus à penser que l’Occident serait à l’origine de tous les maux du vieux continent. C’est même un aveu de faiblesse de croire que le mal de l’Afrique provient toujours d’ailleurs. 

 

La colonisation doit être reléguée derrière nous de façon définitive. La priorité consiste à établir désormais de nouveaux rapports. Il incombe aux Africains de prendre la responsabilité des décisions qui s’imposent pour le développement de leur continent. En se faisant passer pour une victime, l’Afrique aura du mal à prendre son envol. Or, la situation actuelle exige qu’elle prenne son envol, qu’elle joue enfin le rôle qui lui est destiné. Par la richesse de son sol et de son sous-sol, par sa population très jeune, l’Afrique dispose de ressources nécessaires pour s’asseoir enfin sur la même table de discussion que toutes les autres puissances de la planète. 

II/ Mise en place d’une armée africaine

La guerre en Ukraine nous enseigne que chaque pays doit être capable de se défendre, car la guerre peut être enclenchée à tout moment et à n’importe quel prix. Avec le nouveau contexte, un pays dont les capacités de défense sont faibles pourrait être anéanti à tout moment. La communauté internationale n’est pas prête forcément à intervenir. La sécurité de l’Afrique doit avant tout être assurée par les Africains eux-mêmes. Les nouveaux rapports actuels prouvent que c’est une erreur de compter sur d’autres pour sa propre sécurité. 

1) Nécessaire adhésion à l’OTAN

Sur les 30 pays que compte l’Alliance atlantique, il n’y a aucun pays africain. Or, tout porte à croire que l’OTAN non seulement protège, mais aussi dissuade. Ce n’est pas un hasard si la Russie évoque la possible adhésion de l’Ukraine à l’OTAN comme casus belli. Aussi, plusieurs pays européens qui ne trouvaient pas l’intérêt de cette alliance se précipitent aujourd’hui pour adhérer, à l’instar de la Finlande et de la Suède.

Il est certes vrai que le fondement de cette alliance repose sur l’Europe et l’Amérique du Nord, mais on pourrait imaginer cette alliance s’élargir à d’autres pays. On pourrait donc supposer que certains pays africains demandent leur adhésion à l’OTAN. En cas de refus, scénario le plus probable, les pays africains prendraient conscience que leur sécurité ne peut être assurée que par eux-mêmes. 

2) Faire naître une armée de défense africaine

L’idée d’une armée de défense africaine s’impose au regard des réalités actuelles. Jusqu’à ce jour, l’Afrique ne compte que sur l’extérieur pour sécuriser son continent. Or, il est temps qu’elle compte sur elle-même. 

 

Pour y parvenir, elle pourrait songer à généraliser sur tout son territoire ce qui a été fait en Afrique de l’Ouest à savoir la mise en place du G5 Sahel qui est l’organe de défense et de sécurité de ses pays membres (13) dans le Sahel. Avec plus ou moins de succès, cet organe créé en 2014 est devenu incontournable dans la lutte contre le terrorisme dans la sous-région. D’ailleurs, lorsqu’une armée extérieure veut intervenir, elle s’appuie sur le G5 Sahel afin d’harmoniser l’intervention. 

 

Il doit donc avoir une armée de défense africaine qui assurera la sécurité du continent. Pour cela, il va falloir du temps pour sa mise en application. Mais au regard de l’urgence de se défendre soi-même, il est souhaitable qu’ils s’y prennent maintenant, afin que les interventions d’autres pays en Afrique n’aient lieu que pour soutenir « l’armée de défense africaine » (à venir). Pour sa mise en place, cette armée aura besoin de la formation et de la logistique des pays les plus avancés en la matière. Toutefois, ce soutien ne pourrait avoir lieu qu’avec l’accord de la nouvelle Union africaine qui devra valider, ou ne pas valider un soutien venu d’autres pays. 

 

La mise en place de l’armée africaine permettrait aussi de mieux lutter contre les différents conflits qu’il y a en Afrique. Sur la question de l’islamisme qui prend de plus en plus d’ampleur dans le continent, il revient aux Africains d’être en première ligne pour y faire face. Cela pourrait même s’avérer plus efficace dans la mesure où les soldats africains sont issus de ces régions. Ils connaissent donc les réalités, la culture et le mode de vie de ces terroristes (14). À titre d’exemple, la défaite de la France au Mali ne peut pas seulement s’expliquer par la simple présence des mercenaires russes dans le pays. La réalité est qu’ils ne connaissent pas le terrain, la culture, etc. Ce qui amoindrit leurs capacités d’action. Or, une intervention purement africaine, avec moins de moyens certes, serait plus efficace parce qu’ils connaissent le terrain. 

 

Une fois cette armée de défense africaine mise en place, il faudrait lui prévoir une clause semblable à cette de l’article 5 de l’OTAN : « si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué ». Ainsi, lorsqu’un pays africain fera l’objet d’une attaque armée, c’est toute l’Afrique qui interviendra. Dans ce souci de sécurité, le nucléaire devient nécessaire pour l’Afrique. 

 

3) Faire de l’Afrique un continent nucléaire

Des cinq pays détenteurs légaux de l’arme nucléaire (15) aux quatre autres pays qui la possèdent, il n’y a aucun pays africain. Pire, des quatre principaux continents, seule l’Afrique n’a pas l’arme nucléaire. Il faudrait donc changer la donne. 

 

Aujourd’hui, plus que par le passé, l’arme nucléaire est une marque non seulement de souveraineté, mais aussi de puissance. Si l’Ukraine était détenteur de cette arme, la Russie ne l’aurait pas attaqué, parce qu’elle aurait craint des représailles inacceptables. D’ailleurs, si l’Occident a fait le choix de ne pas « entrer en guerre » contre la Russie pour soutenir l’Ukraine c’est parce que la Russie dispose de l’arme nucléaire. En réalité, au-delà d’être une arme de destruction massive, l’arme nucléaire est d’abord et avant tout une arme de dissuasion. 

 

Le continent africain a donc tout intérêt à devenir lui aussi, un « continent nucléaire ». La nouvelle Union africaine gagnerait donc à ce que le continent possède également l’arme fatale. Pour y arriver, un pays comme l’Afrique du Sud pourrait relancer son programme nucléaire, étant donné qu’il a été pendant un temps détenteur de l’arme atomique.

4) Quid des bases militaires étrangères en Afrique

Il ne s’agit pas de renier l’importance des bases militaires étrangères en Afrique, puisqu’elles sont un soutien indéfectible dans la lutte contre les groupes djihadistes sur le continent. Mais il s’agit d’analyser les contours de leur présence aujourd’hui ; d’en étudier les véritables tenants et aboutissants. Il n’est pas non plus question de passer outre leur importance dans l’exercice partagé avec l’Afrique qui est la recherche de la paix et la sécurité de la sous-région. 

 

Par ailleurs, le fait que ces bases militaires sécurisent au mieux le continent européen et américain depuis l’Afrique ne semble plus suffisant. Aujourd’hui, plus que jamais, il incombe à l’Afrique, à ses soldats, et à son armée d’assurer toutes ces différentes missions. Même l’opinion publique occidentale pourrait partager une telle initiative, car plus aucune mère européenne ne souhaite voir son fils mourir pour l’Afrique. La guerre en Ukraine le démontre d’ailleurs très bien : personne ne veut voir son enfant aller mourir pour l’Ukraine. Et pourtant, l’Ukraine est sur le continent européen. 

 

De même, cela permettra de mettre fin aux nombreuses accusations qui sont souvent formulées contre ces armées occidentales. Certaines d’entre elles n’hésitent pas à reprendre cette métaphore qui consiste à dire que les Occidentaux « allument le feu, ils l’activent et après ils viennent jouer aux pompiers  (16)» en Afrique. L’heure est venue d’y mettre un terme. Pour cela, il faudrait une sortie progressive et programmée. Retirer les troupes d’un pays pour les déployer dans un autre n’est pas du retrait. En se retirant du Mali « de force » pour se redéployer au Niger, la France n’a pas diminué sa présence militaire en Afrique. En somme, il incombe aux Africains, dans la nouvelle union et grâce à son armée, de se saisir de toutes ces questions sécuritaires. Les troupes étrangères ne viendraient dans ce cas de figure qu’en soutien et uniquement lorsqu’on fait appel à elles. 

III/ Réinventer la diplomatie africaine

La diplomatie est le troisième défi à relever en Afrique. Pour devenir une puissance, la diplomatie est toujours capitale. Alors, l’Afrique a tout intérêt à réinventer sa diplomatie qui, en l’état actuel, n’est que pur suivisme (17).

1) Une diplomatie africaine à la turque

Cette guerre en Ukraine a révélé le pragmatisme turc dans sa diplomatie. Bien que membre de l’OTAN et donc, proche de l’Occident, la Turquie présente également la particularité de n’avoir ni condamner officiellement l’attaque russe en Ukraine ni adopter les sanctions de l’UE contre l’agresseur. Mieux, la Turquie maintient ses relations diplomatiques aussi bien avec l’Occident qu’avec la Russie. D’ailleurs, elle joue un rôle fondamental dans les différentes négociations de cessez-le-feu en Ukraine. 

 

L’Afrique devrait faire de même. Elle devra choisir de ne pas choisir entre la Russie d’un côté et l’Occident de l’autre. Elle doit faire le choix de maintenir de bonnes relations aussi bien avec l’Occident qu’avec la Russie. Elle doit enfin se distinguer en refusant de servir de valet ni pour l’un ni pour l’autre des deux antagonistes. 

 

Aujourd’hui, il n’est pas question de remplacer une occupation par une autre. Le rapprochement actuel de certains pays africains avec la Russie et la Chine peut inquiéter, car il est probable que les mêmes erreurs du passé soient encore commises. En effet, l’alliance Russie-Chine n’étant pas respectueuse des valeurs démocratiques dont la jeunesse africaine réclame, se sert du malaise que génère l’occident pour conquérir le continent noir. Or, il n’est plus possible pour les Africains d’accepter une quelconque occupation. Un colon ne se remplace pas par un autre. Certes, il faut ouvrir des portes à d’autres pays, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la souveraineté des pays africains. La stratégie actuelle de la Russie et de la Chine en vers l’Afrique n’est « qu’un Cheval de Troie ». S’ils venaient à réussir, ils feront pire que l’occident. Il suffit de regarder l’attitude des Russes à l’égard de l’Ukraine et celle de la Chine à l’égard de Taiwan, pour comprendre qu’ils n’hésiteront pas à anéantir l’Afrique pour élargir leur puissance. 

 

La diplomatie de la nouvelle Union africaine doit choisir ce qui est meilleur des deux camps, et refuser ce qui ne lui conviendrait pas. C’est faire preuve de pragmatisme en ne traitant désormais qu’en fonction de ses propres intérêts. Il faut donc se démarquer de la politique d’influence de part et d’autre pour faire entendre sa voix. 

2) Être le troisième bloc du monde

C’est connu, cette guerre en Ukraine va renforcer l’alliance entre la Russie et la Chine. De l’autre côté, l’Occident est de plus en plus uni. Il faut donc sortir « du retour en arrière (18) » qui divisait le monde en deux blocs, car le mur de Berlin est vraiment tombé. Il ne peut plus y avoir que l’occident et la Russie comme seules puissances qui comptent. L’Afrique, par sa population très jeune et dynamique, par ses ressources et richesses, doit être cette troisième voix sur laquelle le monde peut aussi compter. C’est pourquoi elle devra officiellement faire la demande d’avoir un siège permanent au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU. Et la communauté internationale gagnerait à la lui accorder parce que l’Afrique a un rôle à jouer dans le concert des nations. 

 

Il n’est pas non plus question de neutralité qui parfois est au mieux, un aveu de faiblesse et dans le pire des cas, une forme de lâcheté. Bien au contraire, il s’agit de s’intéresser à ce qui se passe aussi ailleurs. Certaines décisions importantes sont parfois prises hors des frontières africaines. Cette troisième voix est indispensable aujourd’hui, l’Afrique doit l’incarner. 

3) S’appuyer sur des partenariats Sud-Sud

La diplomatie africaine devrait s’appuyer sur de nouveaux partenaires, en particulier ceux des pays du Sud. En effet, en renforçant son influence auprès des pays en voie de développement, l’Afrique peut avoir la chance de réussir, car elle ne serait pas vue comme une impérialiste encore moins comme une colonne. Elle a l’opportunité de convaincre d’autres régions pour former une alliance solide afin de répondre aux nouveaux enjeux mondiaux actuels. Pour ce faire, elle pourrait se rapprocher stratégiquement des pays de l’Amérique latine qui sont aussi les oubliés de la nouvelle reconstruction mondiale. Ainsi, comme le dit l’intellectuel africain Achille Mbembe, l’Afrique doit « se démarquer de la politique d’influence (19) »pour se créer sa propre voie, son propre destin et sa propre destinée, afin d’exister dans ce Nouveau Monde. 

4) Régler définitivement la question migratoire africaine

Cette question migratoire est assez complexe parce qu’elle touche tous les pays. La question des migrants « africains » qui viennent en Europe ou en Amérique reste un éternel problème. Les immigrants africains en Europe sont très souvent perçus comme « des délinquants », des « voyous » venus pour piller l’Europe. Pourtant personne n’ignore pourquoi autant des jeunes fuient leurs pays respectifs au péril de leur vie.

 

Il est clair qu’aucun pays au monde ne peut accepter de recevoir autant de personnes qui rentrent sur son territoire de manière illicite. Il est donc logique pour l’Europe de renforcer son contrôle aux frontières. Mais la guerre en Ukraine a aussi révélé qu’avec une volonté politique, les choses peuvent changer. On a vu la solidarité européenne se mettre en place pour accueillir à tout prix les Ukrainiens qui fuient la guerre dans leur pays.

 

On aurait aimé voir cette même solidarité lorsque les Syriens se sont retrouvés dans la même situation. Ce qui a d’ailleurs valu à l’Europe certaines critiques. Mais, à moins de faire dans la langue de bois, il n’y a rien de choquant de voir la solidarité européenne autour de l’Ukraine dont elle se sent plus proche. L’Ukraine est avant tout un pays de l’Europe continentale, donc proche des autres pays dudit continent. Cependant, l’UA regrette le traitement discriminatoire et raciste qui a été réservé aux citoyens africains au moment de quitter l’Ukraine au mois de mars (20)

 

Cette solidarité européenne à l’égard des Ukrainiens doit servir de leçon à l’Afrique. Cela doit lui enseigner qu’il lui revient de traiter en premier lieu la question migratoire de son continent. Il faut donc mettre en place une solidarité africaine en matière migratoire pour accueillir ceux qui veulent partir de leurs pays respectifs. 

D’ailleurs, l’Afrique aurait dû donner une leçon de solidarité au monde entier en proposant d’accueillir les Ukrainiens. Elle aurait dû proposer un toit à ceux qui n’en disposent pas, pour qu’ils puissent s’abriter. 

 

Mais, pour régler définitivement cette question des migrants africains, les dirigeants de ce continent gagneraient à mieux développer leurs pays pour que les jeunes africains, à la nage ou en pirogue, n’aillent plus mourir au large de l’océan. L’Afrique doit impulser les politiques publiques qui consistent à moderniser leurs infrastructures, à les rendre accessibles aux jeunes. Quant à la question de sa diaspora, l’Afrique a tout intérêt à la faire revenir au pays, elle qui très souvent est qualifiée, afin de la mettre à contribution de la construction du continent. Pour ce faire, il faut créer des emplois, pour que ces jeunes diplômés qui n’aspirent qu’à travailler puissent exercer leur activité. 

 

Il faut construire des écoles, pour que la jeunesse africaine soit instruite et qu’elle ne soit pas la risée du monde. Il faut aussi construire les hôpitaux pour que la population africaine se soigne dignement et que le taux de mortalité baisse. Il faudrait enfin mettre fin à la corruption qui détruit les sociétés africaines et fait fuir sa jeunesse. 

Conclusion

Finalement, la recomposition du monde qui a débuté depuis l’attaque russe le 24 février dernier ne va que s’accélérer. L’erreur fondamentale pour les Africains serait de penser que cette guerre n’aura pas d’impact sur le continent. Il est donc temps que l’Afrique, l’éternelle absente des grands rendez-vous, ne passe pas à côté de cette occasion pour enfin s’affirmer comme puissance. Il y a du travail certes, mais avec une ferme volonté et une ambition attendue, l’Afrique a tout pour devenir la troisième voix aux côtés du bloc de l’OTAN et de l’alliance Russie-Chine. Cette voix, la sienne, est attendue par toute une génération lasse d’être toujours derrière les autres. Il faut donc pour l’Afrique qu’elle s’affirme et qu’elle ait son rôle à jouer dans le concert des nations. 

(1) V. Poutine qualifie cette intervention d’ « opération spéciale », récusant toute idée selon laquelle il serait en guerre contre l’Ukraine.

 

(2) https://information.tv5monde.com/info/l-otan-en-etat-de-mort-cerebrale-juge-emmanuel-macron-331037.

 

(3) Idem

 

(4) https://www.aa.com.tr/fr/monde/allemagne-le-bundestag-approuve-un-fonds-sp%C3%A9cial-de-100-milliards-deuros-pour-renforcer-larm%C3%A9e-/2605065.

 

(5) https://www.lalibre.be/international/europe/guerre-ukraine-russie/2022/07/20/guerre-en-ukraine-le-mercosur-a-refuse-la-demande-du-president-ukrainien-de-faire-un-discours-a-son-sommet-LON2QB5RIZDUZHHDJYCE6UDL7Q/

 

(6) Nicolas Normand a été ambassadeur de la France au Mali de 2002 à 2006, au Congo, au Sénégal et en Gambie. Il est l’auteur du Grand Livre de l’Afrique, Éd. Eyrolles, 2018. Une édition mise à jour en juin 2022. 

 

(7) https://www.lefigaro.fr/vox/monde/nicolas-normand-pourquoi-nombre-de-pays-africains-ne-se-sentent-pas-concernes-par-le-sort-de-l-ukraine-20220622

 

(8) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/01/sur-la-guerre-en-ukraine-les-pays-du-sud-refusent-de-s-aligner-sur-la-position-occidentale_6132938_3232.html

 

(9) Idem

 

(10) https://legrandcontinent.eu/fr/2022/03/14/lafrique-face-a-linvasion-russe-de-lukraine.

 

(11) https://au.int/sites/default/files/documents/36204-doc-agenda2063_popular_version_fr.pdf.

 

(12) Henri Janne, « Critique de la démocratie », Revue de L’Institut de sociologie [en ligne], journals.openedition.org. 

 

(13) Ces pays membres sont la Mauritanie, le Mali, le Tchad, le Niger et le Burkina Faso

 

(14) Cependant, les soldats irakiens avaient les mêmes caractéristiques dans la lutte contre Daech. Mais ça ne les a pas empêchés de fuir, de les rejoindre, et pour certains de combattre aux côtés de cette organisation terroriste. 

 

(15) Ce sont les cinq pays avoir fait leurs essais nucléaires avant le traité de 1968 sur l’interdiction de la non-prolifération des armes nucléaires. Ces cinq pays sont aussi les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU.

 

(16) De l’artiste Tiken Jah Fakoly dans « On a tout compris, 2002. 

 

(17) Toutefois, tous les pays africains n’ont pas une même vision diplomatique, car certains ont déjà une longue pratique et expérience diplomatique, très largement reconnue et appréciée… Ce n’est bien sûr pas le cas des autres. 

 

(18) Constitué de deux blocs pendant la guerre froide 

 

(19) Dans un article publié dans Jeune Afrique le 11 mai dernier, l’intellectuel camerounais développe cinq grands axes qui devraient guider la politique africaine, dont le premier est de « se démarquer de la politique d’influence ». 

 

(20) https://www.lefigaro.fr/international/les-refugies-en-provenance-d-ukraine-sont-ils-tries-a-l-entree-dans-l-union-europeenne-20220309

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