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L'impact de la crise Covid sur la santé mentale des populations: le rôle du psychologue gabonais.

Le rôle du psychologue gabonais dans l’accompagnement des patients atteints de Covid-19 aurait dû être au centre de la prise en charge.

Le Covid-19 a engendré une crise sanitaire sans précédent qui a eu de multiples conséquences sur les plans économique et social. Selon une étude de l’OCDE par exemple, la crise du COVID-19 s’est transformée en une crise de la santé mentale pour les jeunes (15 – 24ans)(1). De façon plus globale, il semblerait que les différentes mesures de confinement, totales ou partielles, ainsi que les informations alarmantes relayées par les médias, ont eu un impact sur la santé mentale des populations du monde entier et notamment, des plus fragiles.

Depuis le 10 mars 2022, le Gouvernement gabonais a levé toutes les restrictions sanitaires liées au Covid-19 qui visaient à limiter la propagation du virus sur le territoire. Malgré cela, il semblerait que cette pandémie continue de représenter un réel danger pour les plus vulnérables du fait de la fragilité du système de santé gabonais, des difficultés liées au respect des gestes barrières et de la précarité d’une bonne partie de la population. A titre d’exemple, le service de statistiques du centre national de santé mentale de Melen a observé une augmentation des patients en situation de fragilité psychologique entre 25-34 ans durant la crise sanitaire. En effet, les chiffres font état de 134 patients reçus en 2019 contre 196 en 2020 et 245 cas en 2021 (2).

Revenons un court instant en arrière, précisément au moment de la création du Comité de pilotage indépendant (COPIL) composé d’universitaires, de biologistes, épidémiologistes, médecins en santé publique et agents de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le 25 février 2020. Ce Comité était chargé principalement de la surveillance épidémiologique aux aéroports, ports et frontières et du confinement, dans les structures médicales appropriées, des personnes susceptibles d’avoir contracté la maladie et de l’exécution du plan de riposte (3). Force est cependant de constater que les établissements de prise en charge des malades mentaux, tels que le Centre national de santé mentale de Melen (CNSM) de Libreville, ont rencontré des difficultés liées à la gestion de crise en leur sein. L’une des principales conséquences de cet oubli sera d’ailleurs l’absence de création d’unités Covid-19 dans les structures de prises en charge des malades mentaux, alors que les conditions de confinement furent génératrices de détresse psychologique et de survenue de troubles psychiatriques.

Pour répondre à l’inquiétude des populations et du corps médical sur cette question, le Comité de pilotage du plan de veille et de riposte contre l’épidémie à coronavirus (COPIL-Coronavirus) a annoncé le 20 avril 2020, la mise en place d’un système de prise en charge psychologique « systématique » des patients testés positifs au virus. C’est sur cet accompagnement psychologique, sous la tutelle du ministère de la Santé, que l’Institut Concorde souhaite s’arrêter dans cet article et notamment, sur le rôle du psychologue gabonais dans cet accompagnement.

Élément d'analyse

Situation des patients atteints de troubles psychiatriques en période Covid

Les restrictions sanitaires liées à la crise Covid-19, telles que le confinement, ont eu un impact négatif sur la santé mentale des individus, avec ou sans antécédents psychiatriques. En effet, « le confinement à l’origine de l’ennui et de l’isolement social, serait potentiellement générateur de nombreux troubles du sommeil, anxiété, trouble lié au stress post-traumatique (TSPT), dépression, suicide, stress aigu, conduites addictives » (4). Dans ces conditions, la question de la prise en charge des patients atteints de troubles psychiatriques est apparue particulièrement centrale pour les personnels de santé, notamment les psychologues et psychiatres. Et ce d’autant qu’ils doivent faire face, ces dernières années, à la baisse de leurs moyens matériels et humains.

Dans la riposte organisée par le ministère de la Santé, des centres de traitement ambulatoires (CTA) seront mis en place pour la prise en charge des patients Covid-19 au sein de plusieurs structures hospitalières de la commune d’Akanda, de Libreville et d’Owendo. L’idée a été d’optimiser la prise en charge de ces patients en évitant la propagation du virus dans les structures de soins habituelles. C’est au sein de ces mêmes CTA que seront affectés des psychologues pour la prise en charge du suivi psychologique des patients atteints de Covid-19. Selon la responsable du CTA du centre hospitalier de Libreville (CHUL), il y avait deux types de prise en charge : la prise en charge ambulatoire pour les formes modérées de Covid et la prise en charge en hospitalisation pour les formes graves (5). Il faut dire que durant la première vague, la plupart des services ont été réquisitionnés pour les cas Covid au détriment souvent d’autres maladies. S’agissant de l’accompagnement psychologique, le personnel médical composé de psychologues mettait l’accent sur les techniques de psychoéducation et la recherche de cas contacts potentiels auprès de patients souffrant de la maladie.

Pourtant, il est à regretter que ce dispositif de prise en charge n’ait pas été prévu au sein des structures de traitement des maladies mentales. En effet, selon la psychologue Christelle Sissou, le centre de Mélen a dû faire face à trois types de population. Ces derniers n’étaient pas nécessairement des cas Covid mais des cas en détresse psychologique. Il s’agissait notamment : des anciens patients, encore sous traitement, fragilisés par la crise sanitaire qui a fait ressurgir des anciennes angoisses ou traumatismes ; des anciens patients mis « sous fenêtre thérapeutique » (en arrêt de traitement), suivis à titre ambulatoire, qui ont repris le contrôle de leurs vies (gestion des émotions, du stress, etc…) mais qui ressentent une angoisse envahissante du fait de la crise sanitaire qui affecte progressivement leur quotidien ; et des nouveaux patients n’ayant aucun antécédents psychiatriques mais que le contexte sanitaire, couplé aux difficultés personnelles et professionnelles, a rendu vulnérables sur le plan psychologique.

 

L’ensemble de ces patients a présenté, à un moment donné, des signes cliniques survenus dans un contexte d’angoisse lié à la crise sanitaire, ce qui a nécessité une prise en charge psychologique. Les conditions de confinement partiel ou total ont été une difficulté majeure dans leur prise en charge étant donné les difficultés de déplacement vers les centres de santé mentale que cela a généré.

 

Le difficile accès aux infrastructures sanitaires et aux traitements pendant la crise
sanitaire

La détresse psychologique des patients atteints de Covid-19, ainsi que des patients asymptomatiques, est réelle. Cela est vrai en période de crise sanitaire mais aussi, en dehors. En effet, la vulnérabilité individuelle du fait de l’absence de relais d’informations autour des soins et institutions psychiatriques, ainsi que l’immense précarité sociale et les situations d’isolement qui en découlent, pourraient l’expliquer. La crise sanitaire Covid, inédite par son ampleur, a engendré des restrictions sanitaires génératrices de troubles psychiques, et ce de manière plus grave pour les plus vulnérables. En effet, ces restrictions ont rendu l’accès aux infrastructures sanitaires plus difficiles de même que le traitement aux soins pour des pathologies mentales sévères. Or, les patients atteints de troubles mentaux représentent une population particulièrement vulnérable au Covid-19.

 

En France, l’apparition de cette pandémie a entraîné une large réorganisation du système sanitaire (6). Cela fut le cas des hôpitaux psychiatriques avec le renforcement des téléconsultations et interventions à domicile, la constitution de réserves sanitaires, la fermeture des hôpitaux de jour, etc… Pour faire face à la crise sanitaire, des unités dénommées PSY/Covid ont été mises en place dans le but d’endiguer le risque épidémique, recevoir les patients atteints de Covid qui nécessitent aussi des soins psychologiques et de concentrer les moyens de prévention et de soins(7). Il s’agissait de prévoir un service dédié aux patients souffrant de maladies mentales, plus vulnérables au Covid-19, mais aussi de prévenir des troubles mentaux liés à la crise sanitaire.

 

Le centre national de santé mentale de Mélen observe une baisse significative des consultations en ambulatoire depuis la déclaration officielle du premier cas Covid-19. Aussi, la crise accentue le dysfonctionnement de l’accompagnement des malades mentaux et l’exposition des patients et des soignants à la maladie en raison de l’insuffisance de kits de protection notamment (8). Ce constat est plus alarmant encore en zone rurale au regard de la rareté des consultations psychiatriques et la non prise en charge des malades en décompensation à domicile ou à l’hôpital. En outre, selon le service de statistiques du centre national de santé mentale de Mélen la tranche la plus touchée reste celle de 25-34 ans du fait de la consommation de produits psychoactifs en tout genre. L’isolement, l’absence d’activités et de loisirs ont accentué les expériences d’addiction chez les jeunes durant la crise sanitaire liée au Covid, interpellant davantage sur la nécessité du psychologue gabonais en situation de crise et hors crise.

 

Le rôle du psychologue durant la crise sanitaire et post crise Covid-19

Le psychologue clinicien travaille sur la singularité et la globalité du sujet. Il agit au cas par cas. Si l’on doit définir son rôle, il nous importe de nous référer à Lagache qui le présente comme « une capacité à saisir la conduite dans sa perspective propre, d’examiner la manière d’être et de réagir d’un être humain complet, de chercher à en établir le sens, la structure et la genèse et de déceler les conflits qui la motivent (9) ». Il s’agit donc, pour le psychologue, de comprendre le comportement, les attitudes, la structure et le fonctionnement de la personnalité. Pour ce faire, ce professionnel de santé s’intéresse à l’enfant, l’adolescent, l’adulte et la personne âgée.

 

Le rôle du psychologue gabonais dans l’accompagnement des patients atteints de Covid-19 aurait dû être au centre de la prise en charge. En effet, le Covid-19 est un phénomène nouveau qui a suscité de la peur chez la population, si bien qu’il a pu être observé que la fragilité psychologique était un facteur de risque. A cela se sont ajoutées des situations d’isolement auxquelles étaient souvent exposées les populations durant la crise sanitaire et qui sont des facteurs de risques supplémentaires de troubles psychologiques. Le rôle du psychologue gabonais était indispensable pour le traitement de ces pathologies mentales méconnues ou sous-estimées par la population pendant la crise et post-crise sanitaire.

 

Pourtant, malgré le nombre de psychologues formés et affectés au sein des différentes structures hospitalières, ce métier semble toujours inconnu du grand public et son rôle, très peu considéré durant la crise sanitaire. En cela, le Covid permettrait de mettre en lumière l’importance de la valorisation de cette profession pour le traitement des cas psychologiques graves en situation de crise sanitaire et des séquelles post-crise qui vont nécessairement se faire sentir. En réalité, c’est plus largement la question de la place du psychologue dans la société gabonaise et du rapport des populations à ce professionnel de santé qui est posée.

Préconisations

La santé mentale des patients atteints de COVID-19, des personnes asymptomatiques, et de la population en général, devrait être une priorité de santé publique. La vulnérabilité de l’organisation des soins en psychiatrie, la vulnérabilité individuelle des usagers et la précarité sont des facteurs qui pèsent sur les soins dans ce secteur. Dans ces conditions, le psychologue doit être sollicité pour accompagner à court ou à long terme les patients pour éviter une éventuelle dépression, et plus particulièrement lors de période de crise sans précédent comme le monde entier vient de le vivre. Aussi, l’Institut Concorde aimerait modestement proposer ces préconisations :

 

– Sensibiliser la population au métier du psychologue et à son rôle dans l’accompagnement des patients souffrant de maladie mentale.
Christelle SISSOU, psychologue clinicienne au centre national de santé mentale de Mélen,
insiste sur ce point considérant que le rapport de nos populations et de nos institutions à la maladie mentale est encore précaire. De ce fait, il y aurait urgence à sensibiliser notre société au métier et au rôle du psychologue qui est incontournable dans la prévention des facteurs de risques psycho-sociaux.

 

– Améliorer l’accès de la population à l’information sur la prise en charge des patients atteints de troubles psychiques et psychologiques dans les centres de soins habilités.
Il est extrêmement urgent de vulgariser davantage les informations autour de la prise en
charge des patients atteints de maladies mentales, notamment pour tout ce qui concerne l’existence d’un numéro vert dédié à ces questions et la mise en place d’unités mobiles pour la prise en charge des patients à domicile et faciliter le contact avec les familles. Cette démarche préventive est indispensable pour prévenir et détecter les signes de dépression ou encore de charge mentale, véritable facteur de risque de troubles psychiatriques et psychologiques.

 

– Renforcer la collaboration entre les psychologues gabonais et les autres professionnels de santé pour une meilleure prise en charge des patients.
L’idée principale de cette préconisation est d’améliorer les parcours de soins en santé mentale que proposent les pouvoirs publics aux populations les plus fragiles. Il s’agit également de permettre une cohérence dans les soins apportés par chaque professionnel de santé. En effet, la santé mentale est une question d’utilité publique et à ce titre, chaque acteur doit agir en concertation pour une meilleure prise en charge du patient et un diagnostic plus adapté.

(1) OCDE, Préserver la santé mentale des jeunes pendant la crise Covid-19, 12 mai 2021, disponible en ligne https://read.oecd-ilibrary.org/view/?ref=1099_1099618-muxbkalt4b&title=Preserver-la-sante-mental e-des-jeunes-pendant-la-crise-du-COVID-19 .

 

(2) Données recueillies par Christelle SISSOU, psychologue clinicienne et psychopathologue au centre national de santé mentale de Mélen.

 

(3) http://www.sante.gouv.ga/

 

(4) Marie-Stella MAHERIN, Amadossi MBOUMBA HINNOUO et Pierre- Auguste OBIANG, “Organisation des soins en psychiatrie au Gabon durant l’épidémie de Covid-19”, Annales médico-psychologiques 179 (2021), pp. 137-140, disponible en ligne sur https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7442892/ (consulté le 17/03/2022).

 

(5) Sonia NGUELET, psychologue clinicienne au centre hospitalier universitaire de Libreville.

(6) www.vie-publique.fr/en-bref/276789-covid-19-quel-impact-sur-les-soins-en-psychiatrie (consulté le 15/04/2022).

 

(7) Ministère des solidarités et de la santé, Rapport d’analyse des retours d’expériences de la crise Covid-19 dans le secteur de la santé mentale et de la psychiatrie, 28 mai 2021, disponible en ligne sur le site du Ministère des solidarités et de la santé.

 

(8) Marie-Stella MAHERIN, Amadossi MBOUMBA HINNOUO et Pierre- Auguste OBIANG, op.cit., pp. 138-139.

 

(9) Daniel LAGACHE, L’unité de la psychologie : psychologie expérimentale et psychologie clinique, Paris, PUF, 8ème édition, 2013.