La lutte contre l’impunité : la grande oubliée de la Transition en République Gabonaise

Au Gabon, alors que les autorités de transition sont au pouvoir depuis près de deux ans,
la lutte contre l’impunité semble être aux abonnés absents.

Depuis le coup de libération du 30 août 2023, le Gabon est plongé dans une période de transition politique, économique et sociale avec pour mot d’ordre, la restauration des institutions et le retour à un ordre constitutionnel stable et fonctionnel [1].

Les militaires aux commandes avaient conscience de la volonté pleine et entière du peuple gabonais de venir à bout du système instauré par la famille BONGO depuis plus de 50 ans et que le Président sortant, Ali Bongo ONDIMBA, souhaitait prolonger au mépris des résultats des dernières élections présidentielles. Ce même système qui empêchait l’alternance politique, la lutte contre la corruption des élites, l’État de droit, le développement économique, la séparation des pouvoirs et la lutte contre l’impunité.

L’impunité désigne l’absence de sanction pour un crime ou une infraction commise par un individu. Elle se caractérise par le fait qu’une personne ou un groupuscule de personne échappe aux conséquences juridiques de leurs actes [2]. En d’autres termes, l’impunité traduit la situation dans laquelle la justice n’est pas appliquée, ce qui encourage la répétition des abus ou des violations de la règle de droit. C’est une entorse à la justice et à l’exigence de vérité indispensable à la garantie des droits humains.

Au Gabon, alors que les autorités de transition sont au pouvoir depuis près de deux ans, la lutte contre l’impunité semble être aux abonnés absents. Pourtant, lors du dialogue national inclusif qui s’est tenu courant avril 2024, une sous-commission avait la charge de traiter des questions relatives à la justice, aux droits et libertés.

Force est de constater qu’il n’est aucunement fait mention de la lutte contre l’impunité dans le rapport remis au Président de Transition, alors même qu’il s’agit d’une question cruciale pour la restauration des institutions [3].

La récente affaire autour du décès du jeune militaire de la Marine, Johan BOUNDA, des suites d’actes de tortures infligés par des agents du B2 nous rappelle à quel point la lutte contre l’impunité au Gabon et le respect des droits humains demeurent un objectif difficile à atteindre. S’il est vrai que le tapage médiatique autour de cette affaire a permis l’ouverture d’une enquête afin que justice soit rendue, il n’en demeure pas moins que le manque de transparence dans la gestion d’affaires impliquant des hautes autorités renforce les craintes nourries par les populations dans le domaine de la justice.

À travers cette contribution, l’auteur entend alerter les autorités de la transition sur l’urgence de faire de la lutte contre l’impunité une priorité pour la restauration des institutions et la nécessité de mettre sur pied une commission vérité, réparation et réconciliation visant à faire la lumière sur l’ensemble des crimes commis sous l’ancien régime.

I/ L’impunité, une entorse à la justice et à l’exigence de vérité indispensable à la garantie des droits humains

Sous l’ancien régime, l’impunité concernait tant des actes de corruption et de détournement de fonds publics que les crimes commis sur les populations notamment pendant les périodes électorales ou post-électorales.

Le rapport rédigé par le mouvement Tournons la page en 2023 qui recense des informations, témoignages, entretiens, déclarations et images des violations des droits humains survenues dans le pays depuis 2016 [4], en est une parfaite illustration. Celui-ci recense, pas moins de 864 arrestations arbitraires et 12 manifestations interdites ou réprimées.

Il faut dire que cette période post-électorale figure parmi l’une des plus violentes jamais enregistrée au Gabon comme en témoignent les bombardements du quartier général de Monsieur Jean PING, candidat à l’élection présidentielle de 2016. Une enquête sur d’éventuels crimes de guerre avait été ouverte à la suite du dépôt d’une plainte en France par un ressortissant franco gabonais pour « arrestation et détention arbitraire en bande organisée, torture et actes de barbarie en bande organisée, tentative d’assassinat et crime contre l’humanité [5] ».

Curieusement, la justice gabonaise ne s’est jamais saisie de cette affaire, laissant ainsi de nombreuses familles de victimes sans réponses et le spectre de l’impunité, plein et entier. Pourtant, l’application inégalitaire de la loi qui résulte du phénomène d’impunité renferme plusieurs conséquences profondes sur la société.

En effet, elle alimente les inégalités entre les individus dans la mesure où certains sont au-dessus des lois et ne peuvent jamais faire l’objet de poursuites. Elle renforce la méfiance des citoyens à l’égard des institutions publiques qui manquent à leurs objectifs de protection des populations contre toutes formes d’abus.

Elle contribue surtout à museler les victimes qui trainent avec elles des traumatismes les empêchant de s’intégrer convenablement dans la société.

Or, il n’existe pas de réelle paix sans justice et si les autorités de transition ne prennent pas en compte cette exigence, la restauration des institutions qu’elles brandissent à chacune de leur prise de parole publique ne saurait aboutir. En effet, le renversement de l’ancien régime avait suscité une vague d’espoir en chacun des citoyens Gabonais qui espéraient que la vérité soit faite sur les exactions commises par d’anciens hauts cadres de la République et que ces derniers fassent l’objet de peines exemplaires afin d’envoyer un signal fort à tous ceux et celles qui se croient au-dessus de la loi.

S’il est vrai que le plein emploi, le développement des infrastructures et services publics de proximité, l’accès aux soins et à une éducation de qualité pour leurs enfants figurent au nombre des axes prioritaires des populations Gabonaises longtemps martyrisées et muselées par un pouvoir autoritaire, il ne faut pas oublier le nécessaire devoir d’exemplarité des autorités dans la conduite de la chose publique et leur capacité à faire respecter la règle de droit en toutes circonstances.

C’est pourquoi, la création d’une commission vérité, réparation et réconciliation nous semble indispensable pour rompre définitivement avec l’ancien régime et parvenir à l’objectif de restauration des institutions.

II/ La Commission vérité, réconciliation et réparation, un outil indispensable pour la restauration des institutions

Les commissions vérité, réparation et réconciliation constituent un outil de la justice transitionnelle qui caractérise « l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation [6] ».

L’application d’une telle justice dans notre cas d’espèce questionne au regard des circonstances dans lesquelles elle a été mise en œuvre dans des pays clés tels que l’Afrique du Sud, le Rwanda, le Libéria ou encore au Canada. En effet, le Gabon n’a jamais connu de guerres et fait d’ailleurs figure d’exception dans la sous-région d’Afrique centrale. Toutefois, l’absence de guerres n’est pas synonyme de paix pour autant et l’exercice du pouvoir autoritaire par la famille BONGO a été à l’origine de plusieurs violations graves des droits humains susceptibles de faire l’objet de poursuites judiciaires.

Dans ces conditions, la création d’une commission vérité, réparation et réconciliation peut être un moyen indispensable de panser les blessures des populations gabonaises qui souhaitent faire le deuil d’un parent disparu dans des circonstances inexpliquées ou de violations de leurs droits par l’appareil d’État. Cela sous-entend de nommer tous les coupables, de les confronter à leurs responsabilités et de les contraindre à réparer les préjudices subis par l’ensemble des victimes.

Or, ce processus implique que certaines personnalités publiques appartenant à la transition ou n’en faisant pas nécessairement parties soient citées à comparaitre et qu’elles avouent les circonstances de leurs crimes. Sur ce point d’ailleurs, un membre de la société civile faisait remarquer que les bérets verts de la Garde Républicaine (GR) étaient notamment responsables du mitraillage par hélicoptère puis de l’assaut lancé contre le quartier général de campagne de Jean PING [8].

Plusieurs exactions auraient donc été commises par des forces de l’ordre dirigées par l’ancien régime sans qu’aucune enquête ne soit ouverte ou que des poursuites soient envisagées. Cette situation, si elle perdure, est particulièrement préoccupante pour la confiance des citoyens gabonais dans leurs institutions et surtout pour l’éclosion d’un Gabon nouveau.

L’hypothèse d’une commission vérité, réparation et réconciliation est l’occasion de réparer ces errements judiciaires en donnant la parole aux victimes des violations et abus du système BONGO. L’idée est de permettre des enquêtes officielles débouchant sur l’établissement d’un rapport détaillé sur les formes et périodes de violences qui ont sévies sur le territoire et les populations qui en ont été victimes afin d’éviter que les auteurs de crimes passés continuent à exercer des responsabilités dans l’appareil d’État en toute impunité.

Il faudrait dès lors réfléchir collectivement aux modalités de mise en œuvre d’un tel mécanisme. En effet, chaque commission est conçue en fonction de la nature du conflit et/ou des violations politiques en présence. En tout état de cause, il s’agit d’une première étape vers la prise en compte de la parole des victimes trop longtemps tue et des poursuites judiciaires à envisager par la suite.

Pour Conclure

Le peuple gabonais réclame vérité, réparation et réconciliation. Il en va de l’unité nationale. Et, bien que ce processus requière du temps et dépasse le cadre d’une transition, la mise en place de ce type de mécanisme aurait permis aux autorités de transition d’affirmer leur engagement à l’égard des droits humains, marquer leur volonté de s’attaquer pleinement à l’impunité de l’ancien régime et de s’impliquer pleinement dans la défense d’une gouvernance plus transparente.

(1) Petit-Lambert OVONO, « CTRI : pourquoi restaurer les institutions ? » disponible en ligne sur Pourquoi le CTRI veut restaurer les institutions ? – Gabon Mail Infos (consulté le 07/01/2025).

(2) Définition : Impunité consulté le 25 décembre 2024.

(3) Voir le Rapport général du dialogue national inclusif.

(4) Tournons la Page, L’espace civique en République Gabonaise : le paravent d’un arbitraire, 2023.

(5) Ouest France, « Violences au Gabon en 2016 : enquêtes sur d’éventuels crimes de guerre », publié le 01/07/2017 et disponible en ligne Violences au Gabon en 2016. Enquête sur d’éventuels crimes de guerre ; RFI, « Gabon : une crise postélectorale émaillée de crimes contre l’humanité ? », publié le 02/07/2017 et disponible Gabon : une crise post-électorale émaillée de crimes contre l’humanité ?.

(6) Rapport du Secrétaire général des Nations unies sur le rétablissement de l’État de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, 2004, disponible en ligne Microsoft Word – 0439530F.doc.

(7) Christophe CHATELOT, « Au Gabon, le chantier des droits humains », in Le Monde Afrique, 9/09/2023, disponible en ligne Au Gabon, le chantier des droits humains.